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« LIBRE OPINION » – Le civisme, du mot latin civis, désigne le respect et le dévouement du citoyen pour la collectivité dans laquelle il vit ainsi que le respect de ses conventions et de ses lois. Cet ensemble de règles écrites ou non écrites, de normes sociales, vise la régulation de la vie en société et facilite la vie en groupe.

« Imaginons une société dont les citoyens sont tous super civiques. Plus personne n’enfreint les lois, donc plus besoin de policiers, de juges, de prisons, de gardiens de prison, d’avocats. Il n’y aurait plus besoin non plus de nettoyer les rues et les parcs publics. Quelle économie !  Toutes ces professions qui ont pour mission de nous garder sur le bon chemin et de nous sanctionner si on s’en écarte étant devenues inutiles, seraient remplacées par des professions qui contribuent directement à la production de biens et services utiles : ingénieurs, médecins, infirmiers, architectes, informaticiens, enseignants, artistes… Quel bond de la productivité, de la sécurité, du bien être ! 

Malheureusement, cette société idéale n’existe nulle part, c’est pourquoi nous avons besoin de juges, de policiers, d’avocats et de prisons, dont les services sont indispensables (dans notre monde de citoyens imparfaits) mais non directement productifs de biens et services contribuant au bien-être. Cependant, plus une société est civique, plus elle peut limiter les dépenses visant à éviter les « maux », et maximiser les dépenses pour produire des « biens »; il y a donc un lien mécanique entre plus de civisme, une meilleure productivité, une meilleure sécurité, et plus de bien-être.

Certains groupes ont prospéré grâce au respect tacite de règles non écrites, telles que l’honnêteté dans les transactions. On cite souvent, par exemple, les diamantaires d’Anvers, qui pouvaient passer des transactions très importantes sur des lots de diamants sur une simple poignée de main. Mais celui qui se montrait malhonnête était à tout jamais exclu de cette profession…

Homo sapiens a pu dominer les autres espèces parce qu’il savait mieux coopérer avec ses semblables (notamment grâce au langage).

Au fil du temps, les groupes plus doués pour coopérer efficacement (grâce à un système de règles contraignantes pour leur liberté individuelle) ont eu tendance à prendre le dessus sur les autres, par la conquête, ou par l’imitation, ou bien simplement parce que plus prospères, il se sont multiplié plus vite.

Les institutions économiques et juridiques que nous avons créées nous ont permis de coopérer au sein de société de plus en plus nombreuses et complexes : tribus, royaumes, empires… Là où ces institutions n’existent plus, le pays sombre dans l’anarchie, c’est à dire la loi du plus fort. Dans ces pays, le civisme ne paye pas…car il n’y a plus de règle écrite ou non écrite à respecter.

Pourtant, le civisme, si bénéfique au niveau d’une société humaine, a un coût pour l’individu : il est plus commode de jeter ses ordures n’importe où que de les garder pour les mettre à la poubelle (surtout maintenant qu’il y a plusieurs poubelles). Tout le monde a envie de plages et de rues propres, mais le problème c’est que tout le monde a aussi tendance à faire le moindre effort. Si tous les autres ne jettent pas leurs ordures sur la plage, j’ai une plage propre, même si moi-même je ne fais pas cet effort. Je suis alors le « passager clandestin » : celui qui profite du voyage sans payer.

Si je sais que je ne me ferai pas prendre, mon intérêt personnel est de jeter mes détritus partout, de ne pas respecter les limitations de vitesse, de ne pas respecter les priorités, les feux rouges et les passages piétons.  Les autres n’ont qu’à faire attention pour moi…

Plus la société est civique dans son ensemble, plus l’incivique, (le passager clandestin), bénéficie de tous les efforts des autres sans en faire lui-même.

Un petit effort civique pour une grande liberté de mouvement

Quel rapport avec la pandémie de Covid ?  Imaginez un pays civique où 100 % des gens sans contre-indication sont vaccinés dès que les vaccins deviennent disponibles.  Les quelques cas venus de l’extérieur ne peuvent pas se propager et donc l’épidémie est contenue, l’économie peut repartir (un exemple proche est celui des Marquises, où 80 % de la population est vaccinée).

Le vaccin a un coût individuel : un peu de temps perdu, une ou deux piqûres, et pour certains une incertitude (supposée) sur des effets secondaires éventuels (incertitudes modérées aujourd’hui par le fait qu’on est à 3 milliards de « cobayes » dans le monde, ce qui devrait suffire à rassurer).

Donc, le « passager clandestin » va attendre que tous les autres soient vaccinés pour être protégé de la contagion. Cependant, si tout le monde tient le même raisonnement, on arrive à la situation catastrophique qu’a connue Tahiti, (comparée notamment à celle des Marquises, où l’épidémie est limitée et sans cas graves). 

Pour ne pas complètement saturer les hôpitaux, les morgues et les pompes funèbres, il faut d’urgence confiner tout le monde pour de longues semaines, y compris ceux qui ont fait l’effort de se vacciner, privés de liberté comme les autres, alors qu’ils sont bien moins contagieux.

Si nous conduisons une voiture, nous acceptons de passer un permis de conduire, de ne pas conduire après avoir bu de l’alcool, de nous arrêter aux passages piétons et aux feux rouges : est-ce liberticide ? Cela nous paraît une limitation normale de notre liberté, car nous ne voulons pas tuer nos semblables avec notre voiture.

Nous avons pu vaincre le virus mortel du Sida en limitant notre liberté de faire circuler le virus avec des relations sexuelles non protégées (« le Sida ne passera pas par moi » dit le slogan). Le port du préservatif : liberticide ?

Le virus Covid-19 fait de chacun de nous un tueur potentiel, car nous pouvons transmettre le virus à nos proches ou nos collègues. Il est donc normal de limiter la liberté de chacun pour empêcher que nous devenions sans le vouloir des tueurs par l’intermédiaire de ce virus.

La vaccination est donc non seulement dans notre intérêt à chacun, mais surtout dans notre intérêt à tous, sinon, au bout de la centième « vague », et après le dernier variant omega, nous n’aurons plus que quelques survivants parmi les non vaccinés, et l’économie sera tombée définitivement au fond du trou.  Alors la vaccination pour tous : liberticide ?

Quelle que soit ma conviction sur le bienfait de la vaccination pour mon intérêt personnel, c’est un devoir civique de me vacciner, pour ne pas contribuer à l’hécatombe que nous avons connu récemment à Tahiti en raison du faible nombre de vaccinés.

Et pour finir félicitations aux Marquisiens, champions du civisme vaccinal… et libérés de l’obligation de rester confinés : ils ont troqué un petit effort civique pour chacun contre une grande liberté de mouvement et une vie plus longue et en meilleure santé pour tous. C’était le bon choix, non ? »

Isidore Platon

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