Dans sa lettre mensuelle de novembre 2022 aux agents de l’administration de la Polynésie française, le Syndicat de la Fonction publique (SFP) évoque le dernier rapport de l’Agence française anticorruption sur les atteintes à la probité entre 2016 et 2021, et pointe du doigt le Pays, en tête du classement de la corruption nationale par…
« Le 27 octobre dernier, l’Agence française anticorruption (AFA) rendait public son dernier rapport sur les atteintes à la probité entre 2016 et 2021. Une terminologie aseptisée pour parler concomitamment de corruption, de trafics d’influence, de prises illégales d’intérêts, de détournements de fonds publics, de favoritisme et de concussion.
Pour faire simple, toutes ces pratiques sont englobées sous le terme « corruption ». Les territoires ultra-marins sont pointés du doigt dans ce rapport pour deux raisons. D’abord car ils participent à la corruption sur le sol national en offrant un refuge aux sommes détournées. Ensuite car à l’intérieur même de ces collectivités, la corruption y est plus forte au regard de la taille des populations.
La Polynésie française en haut du classement
La Polynésie française se hisse ainsi en haut du classement de la corruption nationale par habitant. Il n’y a malheureusement pas à s’en étonner.
Lors de l’enquête menée par l’association Transparency International, les Polynésiens avaient clairement affiché leur manque de confiance envers leurs élus et gouvernants, quelle que soit d’ailleurs leur nature (représentants à l’assemblée, maires, députés ou membres du gouvernement). Ils ne s’étaient donc pas trompés…
Comme le rappelaient les journalistes de Tahiti Infos, la Polynésie française n’est pas prête de perdre sa place sur ce triste podium, puisque l’analyse de l’AFA s’arrête en 2021. Or au Fenua, 2022 a été marquée par des condamnations importantes pour des faits de corruption.
Le rapport de l’Agence française anticorruption, la partie immergée de l’iceberg
Le rapport de l’AFA se base uniquement sur les affaires qui sont présentées devant une autorité judiciaire. Il ne prend pas en considération toutes les situations parfois connues de tous, dans lesquelles il y a très probablement corruption.
Dans une définition largement acceptée et reprise par Wikipédia, « la corruption est la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa complaisance ».
Et comme le précise le dictionnaire Larousse : « La corruption passive, est un délit commis par une autorité publique, une personne investie d’une mission de service public ou un élu qui sollicite ou agrée sans droit, directement ou indirectement, offres, promesses, dons, présents ou avantages pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte relevant de ses fonctions ou facilité par elles. »
Ces définitions nous permettent de comprendre que la corruption est bien plus étendue que ce qui est simplement pris en considération dans le rapport de l’Agence Française Anticorruption.
Chacun pourra sans aucun doute identifier une situation à laquelle, il ou elle, a été confronté(e) et qui rentre dans l’une de ces définitions.
Le règne de l’opacité

Notre syndicat se bat depuis plusieurs mois pour obtenir communication de documents publics dans le cadre de l’attribution de postes, de prolongations d’activité au-delà de la limite d’âge, de rétrogradations arbitraires ou de harcèlements d’agents publics.
Les relations entre le public et l’administration sont régies par le Code des Relations entre l’Administration et le Public. Celui-ci s’applique de plein droit à la Polynésie française en sa qualité de collectivité territoriale au sein de la république française.
Ce code prévoit notamment que tout document public est accessible de plein droit, à tout citoyen ou personne morale qui en ferait la demande.
Entre le droit et la réalité, il existe en Polynésie française un océan immatériel qu’il est parfois bien difficile de traverser. Toutes nos demandes de communication de documents administratifs restent lettre morte. Aucun service de notre administration que nous avons sollicité ne respecte les règles de droit et de transparence.
Nous sommes donc contraints de saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA). Il s’agit d’une autorité administrative indépendante, jugeant si les documents sollicités auprès d’une administration sont publics ou non.
Elle peut également tenter d’intervenir pour que l’administration respecte les règles qui lui sont dévolues.
Mais en Polynésie française, même si cette autorité administrative fait clairement savoir que les documents que nous sollicitons sont parfaitement publics et qu’ils doivent être communiqués, notre administration s’y refuse encore.
Il nous faut donc aller devant le tribunal administratif pour simplement obtenir la transmission de ces documents publics. Nous perdrons un an de procédure pour obtenir la transmission de documents qui sont normalement accessibles à tout citoyen !
Mieux encore, nous allons devoir encombrer un tribunal administratif déjà bien chargé pour simplement obtenir la transmission de documents.
Pourquoi une telle opacité ? Pourquoi un tel refus de respecter le droit ? Pourquoi une telle obstination de la part de l’administration à refuser la communication de documents publics ?
Car ces documents que nous réclamons sont susceptibles de remettre en question les situations de personnes fréquentant la cour du gratin politique. Révèleraient-ils, comme nous le subodorons, des faveurs « extra-légales » ?
C’est ce que l’on pourrait appeler une corruption à bas bruit car elle n’entre pas dans les statistiques de l’Agence française anticorruption.
Et pendant ce temps-là…
La rétention d’informations et de documents vise uniquement à dissimuler des pratiques arbitraires et souvent irrégulières. La satisfaction de l’intérêt général n’est plus un objectif, et le maintien de l’opacité constitue un moyen pour garder la mainmise sur les ressources publiques au profit d’un clan auquel visiblement, chaque fonctionnaire se devrait de prêter allégeance sous peine de représailles.
Bien que le gouvernement actuel sache qu’il devra vraisemblablement communiquer ces documents, il sait que ses desseins irréguliers seront longs à être mis à jour. Pendant toute la durée de la procédure, seront maintenus des privilèges pour les uns ou au contraire, des situations de souffrances pour d’autres.
Les procédures dilatoires du gouvernement actuel ont pour objectif de faire craquer celles et ceux qui entravent sa liberté de mouvement. Le temps est propice pour épuiser les demandeurs dans de multitudes procédures qui protègent ainsi des positions acquises et donnent un sentiment de puissance et d’impunité à leurs auteurs.
La protection politique de hiérarchies notoirement incompétentes
La modeste centrale syndicale que nous sommes, est depuis plusieurs mois, saisie d’un nombre important de dossiers qui révèlent des comportements totalement « déplacés » de hiérarchies protégées par leurs accointances politiques.
Ainsi, au sein de la direction de la santé, nous ne comptons plus les dossiers, particulièrement pour les Subdivisions des Tuamotu Gambier et des Iles-Sous-Le-Vent. Dans un cas comme dans l’autre, l’arbitraire le dispute à l’autoritarisme et à l’indifférence du service rendu à l’usager. Cet acharnement vise à tuer dans l’œuf toute tentative de signalement, tout en surfant sur la vague d’une très grande protection politique. Bénéficiant d’une totale impunité, ces responsables hiérarchiques font régner la peur et la violation des droits au point que le personnel s’enfuit.
Et le plus terrible dans le cas de la direction de la santé, c’est que ce sont nos populations qui pâtiront de la désertion du personnel médical.
Environ 1 200 personnes ont signé une pétition sur la dégradation des soins inhérente à une personne protégée dans la subdivision des Iles- Sous-Le-Vent, sans succès malheureusement, le personnel expatrié ayant été renouvelé.
Et bien évidemment, plus personne ne souhaite travailler sous la tutelle de ces personnes qui détruisent notre administration.
La Direction de la Santé est parfaitement informée de la situation et semble assister avec impuissance à l’hémorragie. Nous avons vivement recommandé une enquête administrative de la Direction de la Modernisation et des Réformes de l’Administration… mais il semble urgent d’attendre.
Même configuration pour la Délégation de la Polynésie française à Paris où les premiers résultats d’un audit pourtant simplement « organisationnel » recommande de diligenter sans délai une enquête administrative pour des faits présumés de harcèlement vis-à-vis de plusieurs agents du service (sans compter toutes les autres recommandations). Là encore, il est urgent d’attendre…
Toute personne rationnelle se demandera pourquoi ne coupe-t-on pas la tête de ces personnes nuisibles au bon fonctionnement de notre administration ? Simplement parce qu’elles jouissent d’une protection sans faille de la part du politique (ministres, président, voire les deux).
Nous sommes dans une pure gestion « affective » où des faveurs sont accordées en fonction de liens personnels : « Je t’aime, tu auras… je ne t’aime pas, tu n’auras pas, même si tu y as droit ».
Là encore, ces agissements n’entrent pas dans les statistiques de l’Agence Française Anticorruption.
Le coût faramineux des expatriés
Très récemment, notre administration vient d’être condamnée à verser 16,6 millions de F.CFP à un agent public lésé en raison de son mode de recrutement.
Le service de l’urbanisme recrute deux agents pour effectuer le même travail : une femme très diplômée recrutée localement et un homme moins diplômé recruté en métropole.
Monsieur se verra offrir un contrat d’expatrié et madame un contrat local. Bien évidemment, la rémunération n’est pas la même. Madame s’en plaint au tribunal est obtient gain de cause.
Le tribunal a reconnu qu’elle aurait parfaitement pu, elle aussi, bénéficier d’un emploi fonctionnel !
L’écart de rémunération n’est donc en aucun cas une discrimination sur le sexe ou le diplôme comme on pourrait être tenté de le penser. C’est juste la nature des contrats qui crée cette différence de rémunération.
Mais pourquoi est-il besoin de proposer des contrats fonctionnels à des personnes qui, de toutes façons, seraient certainement venues sur la base d’un simple contrat local ? Notre grille de rémunération, doublée d’une absence d’impôt sur le revenu, reste très attractive !
Ces 16,6 millions de F.CFP, ne seront pas ponctionnés sur le compte de la personne qui a toléré cette discrimination au recrutement. Ils seront malheureusement prélevés dans le budget des polynésiens !
Au départ madame avait accepté son contrat, ce qui signifie que la rémunération qui lui était proposée la satisfaisait. Aujourd’hui, l’administration devra l’aligner sur celle de l’homme embauché sur un emploi fonctionnel. A la fin, quel coût pour la collectivité !
Ici ce sont les esprits qui sont corrompus au sens « d’altérés ». Pourquoi s’obstiner à créer de l’expatriation ?
Un niveau jamais atteint

Les agents les plus anciens de notre centrale syndicale, et même ceux partis en retraite depuis un certain temps, nous confirment ne jamais avoir assisté à pareil délabrement de notre administration. Et ce délabrement n’est pas le fruit des agents… mais bien celui des choix hiérarchiques.
Il devient impossible d’obtenir un accusé de réception d’un simple courrier. L’administration se mure dans un silence profond teinté de mépris, elle fuit le dialogue, et semble donc préférer mettre la tête dans le trou de tupa plutôt que d’affronter les problèmes.
Lorsque, après des mois d’approche, nous parvenons à un échange, les problèmes les plus patents sont soulevés sans pour autant déboucher sur des décisions concrètes.
Nous sommes en droit de nous tromper sur certaines situations et pouvons aisément le reconnaître. Si tel est le cas, nous ne manquerons pas de présenter nos excuses, même publiquement. Cependant, dans un service, lorsque « B » a un problème avec « A », que « C » a un problème avec « A », que « D » a un problème avec « A», le problème est rarement « B », « C » ou « D »…
Depuis quelques semaines, nous voyons se démultiplier les médiatisations de situations de mal-être dans notre administration. Dans n’importe quelle entité fonctionnant rationnellement, la plus haute autorité aurait pris des décisions radicales pour enrailler l’évolution. En l’espèce rien.
Par la loi, surtout lorsque les faits sont connus et reconnus, le Président a obligation de protéger les agents qui ont à subir les comportements arbitraires d’une hiérarchie qui souhaiterait les épuiser moralement. Seulement dans cet univers de faveurs princières, il semble plus précieux de protéger ses relations amicales que les agents de la fonction publique. Ils n’ont que peu de valeur pour cette élite que l’on pourrait qualifier de prédatrice, et qui n’a d’intérêt que pour les siens, et non pour le manahune.
Nous avons transmis des alertes sous le régime de la protection des lanceurs d’alertes, qui couvre normalement de l’anonymat les dénonciations effectuées.
Plutôt que de lancer des enquêtes approfondies, l’administration n’a pas trouvé mieux que de révéler le nom de ces personnes auprès de leur hiérarchie, déclenchant un peu plus les foudres de petits monarques par nature arbitraires et brutaux ! Peut-on faire plus inepte ou plus démonstratif d’une logique de clan qui se renforce dans la sphère publique ?
La mandature actuelle semble grisée par les sentiments de supériorité et d’impunité que donne un pouvoir trop longtemps détenu.
Ne jamais céder et s’obstiner
Nous continuerons donc à nous obstiner et à nous battre pour que notre administration ne sombre pas dans une forme de dictature sourde.
Il serait malheureusement trop utopique de rêver à une administration comme celle que connaissent les pays nordiques ou la Nouvelle- Zélande, pays pour lesquels toutes les informations sont accessibles, bien souvent en ligne, y compris les dépenses effectuées par chaque élu.
Dans ce contexte particulièrement sombre et hostile, nous devons maintenir nos efforts.
Le travail accompli chaque jour avec beaucoup d’engagement et d’abnégation par la très grande majorité des agents publics ne doit pas être terni par le comportement inacceptable de quelques-uns, même protégés politiquement.
Nous continuerons à défendre la probité de notre administration et l’égalité de traitement entre tous, sans aucun critère d’appartenance à quel que clan que ce soit. Nous sommes bien déterminés à poursuivre nos actions jusqu’à ce que nos dirigeants se réveillent et considèrent enfin la suprématie de l’intérêt général sur celui de courtisans, persiffleurs de mots sucrés à leurs oreilles destinés à leur faire croire qu’ils sont hors du commun.
Notre syndicat continuera ainsi de lutter pour que les agents publics puissent servir notre administration et les administrés dans de bonnes conditions… Nous nous opposerons vigoureusement à ceux qui confondent allègrement « servir » avec « se servir ».
Responsables hiérarchiques, chefs(ffes) de services, directeurs(trices) d’établissement, ministres, élus(es), doivent montrer l’exemple en matière de probité et de transparence de la vie publique. »
(…)
Source : Lettre mensuelle du SFP (novembre 2022)