Quand j’ai passé le concours de la première année de médecine, classée dans les 5 % de primants qui passaient en deuxième année, on m’a dit : « c’est bon, tu as passé le plus dur ! ». Mais le plus dur n’était pas passé.

Il m’a fallu ensuite travailler jusqu’en 6e année, où j’ai repassé un autre concours qui décidait de mon avenir… Où est-ce que j’allais continuer mes études ? Quelle spécialité choisir ? Et si je me trompais ? Et si je n’avais pas le choix ? Ce concours était plus difficile que le premier et les conditions de passage très impressionnantes. On m’a dit : « c’est le concours le plus dur, après tu seras médecin ». Mais le plus dur n’était pas passé.
Il m’a fallu ensuite faire mes trois années d’internat, à trimer comme un chien à l’hôpital pour compenser le manque de personnel, payé une misère et quand même content d’avoir mon premier salaire de smicard à 25 ans. Enchaîner les gardes, ne pas pouvoir prendre les vacances que tu veux, être agressé par les patients, par le personnel qui n’en peut plus de fonctionner à flux tendu. Et travailler dur, à nouveau, pour passer sa thèse, et devenir, enfin, docteur. Je me suis dit qu’enfin le plus dur était passé, et que je n’avais plus qu’à m’épanouir dans mon métier.

Mais je m’étais fourvoyé, parce que le plus dur dans mon métier de médecin, c’est d’exercer tous les jours, après ces années de travail, ces années de jeunesse passées à étudier dans une bibliothèque universitaire au lieu d’aller faire du sport et boire un coup avec les copains. C’est d’exercer dans cette société où nous sommes traités comme des nantis alors que nous sommes probablement une des professions qui a perdu le plus de pouvoir d’achat depuis 20 ans. C’est d’exercer dans cette société à deux vitesses où certains sont soignés comme des princes et d’autres n’ont pas les moyens de venir voir le médecin. C’est d’exercer dans cette société folle où le médecin passe plus de temps à faire de la paperasse qu’à soigner les gens.
Oui finalement, le plus dur, c’est de continuer à faire ce métier alors qu’il n’a plus de sens dans cette société. Je pensais devenir médecin par vocation, pour aider les gens. Et aujourd’hui, je me retrouve découragé et aigri. Je ne conseillerai pas à mes enfants de faire des études de médecine. Tous ces efforts n’en valent pas la peine. Quel gaspillage de temps, d’argent et de compétences !