Cet article est paru dans le Bulletin de la Société des Études Océaniennes (BSEO) N° 111 de juin 1955. Retrouvez chaque mois, dans notre rubrique « Culture/Patrimoine », un sujet rédigé par la Société des Études Océaniennes, notre partenaire.(Illustration mise en avant : Tableau de la légende du lézard jaune réalisé par Sarahina)
Il y avait à Matavai un chef : Mahina o Mahinatapuai Mahinahionoa dit Aoaoariiiotai.
Il décida un jour d’aller avec ses serviteurs couper du bois « toro’e’a »[1] très dur, pour faire des poteaux pour une case qu’il voulait élever.

Il alla à Afaahiti, entra dans la vallée où ses serviteurs coupèrent le bois, l’entassèrent et le portèrent sur la plage. Le chef resta en arrière et quand il arriva au milieu de la vallée, il constata qu’il était sur un nouveau sentier, et voici une montagne s’était mise en travers. Il considéra tout cela ; il murmura : « Qu’est ceci ? je suis venu ici tout à l’heure, voici encore les traces des pas de mes serviteurs et les miens, d’où vient cette montagne qui barre la route ? » et il jetait les yeux à droite et à gauche avec inquiétude. Les serviteurs, eux, étaient aussi inquiets du retard de leur maître.
Pendant qu’il était dans cette situation, il entendit une voix : « Aoaoariiiotai, que fais-tu ? que cherches-tu ? le chemin est ici à travers moi ».
Le chef se retourna, et, voici, il y avait devant lui une femme qui se tenait debout sur le sentier et qui lui dit : « Je suis Hinaraurea et je te le demande dormons ensemble et je te rendrais ensuite à ton peuple ».
Quand le chef la vie, son cœur se mit à battre violemment, et la femme était belle comme une belle plante. Il lui demanda : « Qui es-tu pour que j’en parle à mon peuple ? » Elle répondit : « Je viens du lézard (mo’o), Hinaraurea est mon nom, donne-moi deux noms pour mon enfant ». L’homme lui dit : « Si tu mets au monde un garçon, tu l’appelleras Aoaoariiiotai, et si c’est une fille Hinaraurea ».
Ils s’embrassèrent tous deux, le corps du lézard se retourna, la queue vers la montagne et la bouche vers la mer.
Le chef retourna chez lui par le sentier retrouvé et rencontra ses hommes qui avaient pensé qu’il s’était trouvé dans une mauvaise situation. D’où venait-il ? Le chef arriva chez lui avec ses hommes.
Neuf mois après il naquit un petit lézard, et, voici, c’était un garçon de l’allure d’un mâle, beau, il n’avait rien de différent, il fut appelé Aoaoariiiotai.
Quand il eut 8 ans, il demanda à sa mère : « Où est mon père ? ». Elle lui répondit : « Il est en voyage », mais comme ces interrogations étaient fréquentes, qu’il prenait de l’âge, elle comprit qu’elle ne pourrait rien lui cacher plus longtemps car il était grand, fort, beau. Elle décida d’amener l’enfant à son père.
Elle revêtit ses armes, racla sa peau jaune sur sa poitrine de lézard, prit sa lance. Elle dit à l’enfant : « Monte sur mon dos » et il y sauta et le lézard partit sur la surface de la mer. Ils arrivèrent par la mer à Matavai à la pointe appelée Hitimahana i Matavai, mit son fils à terre, lui apprit ce qu’elle savait et lui dit : « Si on te demande quel est ton nom, tu diras : Aoaoariiiotai ». « Quel voyage t’amène ici, tu répondras : je viens voir mon père Aoaoariiiotai ».
Quand elle lui eut tout appris, elle l’embrassa et arriva dans l’îlot de la mer à Hitimahana. C’est là qu’elle disparut à ses yeux et pour voir si on lui ferait du mal.
L’enfant arriva au marae à Hitimahana au bord de la mer et s’y reposa contre la pierre « tuturi »[2]. Il n’y avait pas de prêtre. Peu de temps après, il en vint deux pour offrir un sacrifice. Et voici ils aperçurent le jeune homme, grand, beau à voir et de l’allure d’un chef. Ils lui dirent : « Hélas ! o chef, c’est un lieu consacré ceci et l’homme qui le foule doit mourir ».
Ils s’approchèrent et lui demandèrent : « Mon ami, pourquoi viens-tu ici ? ne sais-tu pas que ce lieu est consacré ? Celui qui le foule doit mourir, on le met dans un panier pour l’immoler ».
L’enfant dit : « Je viens retrouver mon père ».
« Quel est ton père ? »
« C’est Aoaoariiiotai ».
Ils tremblèrent tous les deux à l’ouïe du nom qu’il venait de dire parce que c’était celui de leur chef. Ils le fixèrent et voici, c’était bien la figure de leur chef.
Ils coururent vers leur maître pour lui raconter cela et qu’il y avait un homme au marae. Il répondit : « Prenez-le et tuez-le et offrez-le en sacrifice ! »
Ils répondirent : « O chef, nous l’avons interrogé sur le nom de son père et l’objet de son voyage. Il a dit : « Je viens pour voir mon père Aoaoariiiotai, et à l’ouïe de cela nous avons tressailli et bien regardé, et sa face, c’est un bel homme avec une stature de chef et son allure est glorieuse comme celle d’un guerrier ».
Le chef baissa alors sa tête, il se souvint de ce qu’il avait vu et fait quand il avait coupé les « toro’e’a » pour sa maison.
Il dit alors : « Roulez les tambours, amassez le peuple, allez chercher l’homme, amenez mon fils, Aoaoariiiotai de Hinaraurea, la femme chef au lézard ».
Le peuple s’assembla avec les chefs de Mahinatapuai, sur la place, et quand il vit son fils, les voix clamèrent : « Bienvenue à toi, chef Aoaoariiiotai, salut notre chef ».
Le père prit les insignes de la royauté et en couronna son fils et l’enfant devint chef.
Quand la mère entendit les ovations, elle pleura, partit sur la mer, perdit sa peau sur Tetiaroa, retourna sa carapace en haut et frappa Aimeo de sa queue, il a été dit : Moorea d’Aimeo a Teraravaru[3].
A cause du lézard, il fut dit : Hinaraurea de Moorea.
Communiqué par M. Emile TERIIEROO ; traduction REY-LESCURE
Notes :
[1] ‘Oro’e’a : bois dur, ou Toro’e’a : Chiococca barbata (aujourd’hui Cyclophyllum barbatum).
[2] Tuturi : pierre dressée dans le marae contre laquelle le prêtre s’appuyait pour dire les prières.
[3] Pour la compréhension du récit, il est sous-entendu que la couleur du lézard était jaune « re’a », d’où : « mo’o » lézard et « re’a » jaune = Mo’ore’a. Il existe d’autres légendes sur le même sujet.
Texte et photos (sauf mentions) : Société des Études Océaniennes

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