Pierre Dargelos, inspecteur de l’Éducation nationale à la retraite, publiera très prochainement un recueil de poèmes aux éditions Api Tahiti, intitulé Et tout au bout, l’encre du poème s’efface. Il dévoile en avant-première ses envolées lyriques pour les lecteurs de PPM.

Je vous invite à larguer les amarres
je vous emporte dans les carènes du poème
pour un nouvel itinéraire de la mère à la mer
pour cet enfantement dans le cœur de la barque
——–
et c’est pourquoi j’appelle Irène
la tendre et douce ravaudeuse
et vos mères perdues
——–
j’appelle aussi Léo
semence originelle
qui repose enroulé d’Aquitaine
et vos pères partis
——–
j’appelle enfin cette si douce flamme
qui chaque jour s’allume à mes côtés
cette femme
Céline
entre toutes les flammes
que tu reconnaîtras
ma mère
car elle fait danser toute chose autour d’elle
car sous ses doigts de couturière
chaque fleur se fait voile et célèbre la mer
——–
et désormais soyez
pour ce nouveau voyage
tels qu’en vous-mêmes
visage unique dans le vivant réseau des généalogies
——–
viens partager
toi qui trouvas les archipels polynésiens
d’abord à leur odeur
sur les routes tracées de l’ouest éloigné
toi qui sus déceler dans les cartes du vent
et dans l’écho de la bourrasque à la vrille des conques
la présence des terres où jeter l’ancre des maraes
toi qui osas braver la blanche déferlante
——–
viens partager
toi qui enjambas les Amériques
pour féconder une mémoire de caravelles et de vapeurs
homme de hasard et de science
de violence et d’esprit
toi dont le nom évoque la plaine infinie sous le blé
quatre saisons les jetées océanes
les terres sous la glace
le sel la vigne et l’olivier
homme des antipodes
chercheur d’or et d’espace et de constellations
——–
viens partager
toi descendant du peuple des rizières
qui recomposes tige à tige une sagesse à point de riz
et qui maintiens dans ta patience immémoriale
les cadastres du ciel
les maisons de nous-mêmes
et cette langue de musique où se pose un vini
——–
je vous appelle
navigateurs
profondément semblables sous l’étrave
avec vos yeux levés pour feuilleter le ciel
venus ici pour oublier d’anciennes déchirures
et des vies de patchwork
pour tenter le pari de la nouvelle alliance
de la terre et du ciel et de l’air et de l’eau
et redonner un sens à la parole
——–
je vous prédis
des passes de sable et d’ivoire
un langage nouveau sur la lyre des îles
des enfants innombrables
aux yeux de corail et de nacre
muscles de cèdre et d’acacia
cœur de verger
dépositaires de l’héritage des nuits australes et des lumières
enfants de racine et de feuilles
enfants de l’alchimie des orchidées
et du feu du cratère
et des miroirs de l’eau
enfants pluriels
la paume ouverte au miroir de l’azur
——–
un jour
si vous avez choisi
la voie des êtres métissés
l’issue des peuples mosaïques
et refusé l’impasse du sang pur
vous aurez mérité ces enfants
qui poursuivront bien après nous la fabrique du monde
——–
ils inventeront l’horizon
ils seront neufs sur la rose des vents
maîtres des routes cardinales
avec au bout des doigts
le prisme translucide où jouera le soleil
avec dans les poumons l’héritage de l’or
debout
dans le rejet tranquille des racismes
debout
dans la force du droit de la justice et de l’amour
——–
Iaorana
père Léo et mère Irène
je vous porte en Céline
——–
contre toute apparence vos deux flammes demeurent
que je transmets ici à ceux qui vont venir
——–
Iaorana te mau tamarii
Iaorana te mau tamarii
Iaorana te mau tamarii.