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Je suis médecin généraliste libéral, installé depuis quelques années au Fenua. Je suis peut-être parmi les dernières générations de médecins généralistes ayant fait ce métier par choix. Mais pourquoi, me direz-vous ?

J’ai choisi la médecine générale en 2014, parce que c’était le métier qui semblait le plus correspondre à ma personnalité, à mes envies et surtout qui me permettait d’être mon propre chef et de ne pas dépendre des méandres administratifs de l’hôpital. Pour moi, la médecine générale, c’était la médecine de famille, soigner le bébé comme la personne âgée, pathologies aigues comme chroniques, être là pour écouter, soutenir, me former, gérer mon entreprise. Tout ça à la fois.

Après seulement quelques années d’exercice, c’est la désillusion : le médecin n’a plus le statut social qu’il avait auparavant, ni les revenus qui allaient avec. Quand je pense à nos aïeux, seul un médecin dans la famille pouvait nourrir quatre ou cinq personnes et vivre de façon confortable. Aux oubliettes cette vision archaïque du médecin patriarche, maintenant, les deux parents travaillent et n’arrivent pas à devenir propriétaires en raison de la montée du marché de l’immobilier, et cela même sans enfant à charge.

Les patients nous manquent de respect quotidiennement, viennent avec leur liste de course pour la pharmacie, s’auto-diagnostiquent mais ont besoin de nous pour leur arrêt de travail, ne payent pas les consultations, les employeurs nous demandent de poursuivre des arrêts maladie parce que sinon « il faut refaire le planning », et j’en passe.

Pendant la crise covid, il fallait cravacher, travailler dur partout pour compenser le manque de personnel de l’hôpital, faire des visites à domicile de patients oxygéno-dépendants, se former seul, ne pas être autorisé à vacciner ni à faire des tests au début, comme si nous étions des délinquants, et puis faire des certificats de décès en masse. Le tout en conflit permanent avec la CPS qui refusait de payer nos actes exceptionnels liés au Covid, en conflit avec les autorités qui n’agissaient pas de la même manière avec tous les acteurs de la santé.

Alors pour nous récompenser de nos efforts, on nous a servi sur un plateau d’argent une nouvelle convention collective et une augmentation des tarifs de consultation de 200 Fcfp, soit 5 %. Rappelons tout de même que les tarifs étaient gelés depuis plus d’une dizaine d’années, avec un rapport de force de la CPS inscrit dans des conventions individuelles insensées. L’inflation durant tout ce laps de temps s’élève à 9,8 %, dont 8,5 % sur l’année 2022. Merci la taxe sociale, la guerre en Ukraine et la crise Covid.

Alors il reste de rares spécimens comme moi, prêts à travailler dans ce climat de méfiance et de dévalorisation de la profession. J’y trouve quand même des avantages, ne vous y trompez pas, sinon je serais parti depuis longtemps ! Mais plus le temps passe et moins le métier est séduisant. En Métropole, le gouvernement est allé jusqu’à voter une loi qui créée des infirmiers en pratique avancée, pour palier au manque de médecin généraliste. Ces infirmiers en question auront bac+5 (contre bac+10 maintenant pour un médecin généraliste) et pourront renouveler des traitements de maladie chronique et prescrire des examens complémentaires, tout ça mieux rémunérés que les médecins généralistes et sans responsabilité puisque rattaché à un médecin obligatoirement (qui, lui, sera responsable des prescriptions). Génial, vous ne trouvez pas ?

Avec ce genre de loi, je pense qu’on signe le total désintérêt des étudiants pour la médecine générale ! Et devinez quoi ? La députée qui a défendu cette loi n’est autre que la femme d’un mec qui a une entreprise de formation des fameux infirmiers en pratique avancée. Elle n’est pas belle la vie ?

Alors, si ça continue comme ça, je crois que je vais devenir une espèce en voie de disparition.

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