Retour

Cet article est paru dans le Bulletin de la Société des Études Océaniennes (BSEO) N° 92 de septembre 1950. Retrouvez chaque mois, dans notre rubrique « Culture/Patrimoine », un sujet rédigé par la Société des Études Océaniennes, notre partenaire !

Récemment sur le plateau de Faiere[1], près de la Station météorologique accidentellement incendiée le 9 septembre 1948, les soldats employés à la construction de bâtiments ont démoli une sorte d’obélisque en ciment de 3 mètres environ de hauteur.

Sur son sommet quelque peu incliné, cette inscription avait été gravée : « TAHITI 9 MAI 1910. – KEROUAULT, INGÉNIEUR. – STEFANIK, ASTRONOME. – FROGIER, CONSTRUCTEUR ».

Peu de choses, en somme, sans grande signification pour bien des gens de Tahiti et pourtant il s’agit, là du nom d’un grand savant, d’un homme politique dont le destin a voulu faire un des membres du trio des fondateurs de la République tchécoslovaque (T.G. Masarik, M.R. Stefanik et E. Benès).

Milan Rastislav Stefanik vécut à Tahiti près d’une année en 1910, il y repassa en 1913 en se rendant vers la République Sud-américaine de l’Equateur. Pour autant que je sache, peu de personnes ont conservé le souvenir du « TAATA HIO FETIA » (l’homme qui regarde les étoiles) comme l’avaient surnommé les indigènes.

En 1910, Stefanik fut délégué par le Bureau des Longitudes à Vavau (Archipel Tonga) et à Tahiti. Sa tâche était d’observer le passage de la comète de Halley à Tahiti et l’éclipse solaire du 28 avril 1911 à Vavau. Les résultats de ses observations furent présentés à l’Académie par Henri Poincaré. Il fut aussi chargé d’une étude sur l’installation de la radiotélégraphie et de l’organisation d’un réseau météorologique dans les Etablissements français de l’Océanie. C’est ainsi que Stefanik débarqua à Papeete le 1er mai 1910. Il effectua plusieurs voyages dans les îles à bord de la canonnière « Zélée » afin de créer le premier réseau météorologique dans les Etablissements français de l’Océanie. Les indigènes aimaient beaucoup le « Taata Hio Fetia ».

L’observatoire principal fut construit sur le Faiere, construction de bois avec coupole abritant son télescope et les appareils nécessaires aux observations. Après son départ, le matériel fut confié à M. Patric, gardien du sémaphore, tout décédé récemment, car Stefanik pensait fermement revenir en 1913. La guerre et le temps aidant, son matériel fut dispersé. Seul son souvenir reste au cœur de quelques amis, l’obélisque même ayant disparu.

Après ses observations à Vavau le 28 mai 1911. Stefanik rentra en France au cours de l’été. Il devait repasser à Tahiti en septembre 1913 en escale. Pendant l’été de 1914, il décida de revenir à Tahiti afin de mettre au point le service météorologique et de T.S.F. des Tuamotu, mais il fut envoyé au Maroc. La guerre vint ensuite qui devait bouleverser tous ses projets.

Stefanik s’engagea comme volontaire dans l’aviation et en décembre 1914, il se trouvait à Chartres comme caporal et décoré de la Légion d’Honneur. Au début de 1915, il fut nommé lieutenant-pilote dans l’aviation de chasse du Bourget. Le 13 mai, il partait pour le front attaché à l’escadrille Maurice Farman, commandée par le Commandant Prat et installée à Brias près d’Arras.

Le 26 septembre 1915, Stefanik rejoignit l’escadrille MFS 99 du Commandant Roger Vitrat en Serbie. Devant l’avance Austro-Hongroise, les Serbes submergés commencèrent leur retraite restée fameuse à travers les montagnes et les marécages des Balkans. Les escadrilles reçurent l’ordre de se retirer. Stefanik, avec son fidèle mécanicien Bourbon – qu’il avait à ses côtés depuis le Bourget – partit dans un avion déjà passablement délabré pour Alexandrovac sans aucune visibilité, à travers une bourrasque de neige et une température de 12°. Il fut bientôt obligé d’atterrir et ce fut l’accident. Malgré sa blessure, il essaya de réparer son avion devant l’ennemi qui approchait et finalement fut contraint d’y mettre le feu. Soit à pied, soit dans une charrette de paysan, blessé, vomissant le sang, Stefanik fit 150 kilomètres jusqu’à Nitrovica. On l’évacua immédiatement par avion sur Valona, de là, il fut transporté par un torpilleur italien en Italie où il fut dirigé sur Rome à l’hôpital de la Reine Mère. Après plusieurs opérations, Stefanik rentra en France en janvier 1916.

Là, il retrouva Benès qui avait réussi à s’enfuir d’Autriche et T.G. Masaryk venu de Londres. Ensemble, ils établirent un plan de campagne pour la libération de leur pays. Les résultats de cette collaboration furent la reconnaissance officielle par la France du programme de libération de ce qui devait s’appeler la Tchécoslovaquie.

Grâce à Stefanik qui avait déjà en France des amis puissants et fidèles la route de Benès fut aplanie. Sur ces entrefaites, le Gouvernement français sachant que Stefanik avait lié bien des amitiés en Italie l’y envoya pour deux mois afin d’aplanir si possible quelques difficultés qui s’étaient élevées avec la Serbie.

Pendant l’année 1916 la formation d’une armée autonome sous le commandement français fut autorisée sous condition de trouver au moins 30 000 volontaires tchécoslovaques. Pour cela, Stefanik partit pour la Russie. Il se heurta à l’opposition formelle du ministre des affaires étrangères russe. De là, Stefanik partit pour la Roumanie où siégeait une mission française commandée par le général Berthelot. Il réussit, mais le chiffre de 30 000 n’était pas encore atteint et il continua son voyage par les Etats-Unis pour le même objet.

Enfin, par décret du Gouvernement français du 16 décembre 1917, l’armée tchécoslovaque était formée sous le commandement du général français Janin, Stefanik devint ainsi commandant et en juin 1918, général de brigade. En juillet 1918, il partit avec le général Janin pour la Russie où se trouvait une armée tchécoslovaque de 80 000 hommes. Les événements de Russie tournèrent mal et l’armée tchécoslovaque chercha à rejoindre la France. La Russie signa l’armistice avec les puissances centrales. L’armée tchécoslovaque dut faire un trajet de 4 000 kilomètres en chemin de fer de Vladivostok jusqu’à la Volga où devait s’installer un front contre les Rouges.

Après une tentative des Bolcheviks – Trotsky était ministre de la guerre – la défense de cette armée étrangère dans un pays étranger s’organisa. Après plusieurs batailles sanglantes, elle parvint à contrôler la voie ferrée – seule ligne d’évacuation possible – Volga-Vladivostok où s’installera un front contre les Rouges.

L’armistice du 11 novembre 1918 arriva. Les Tchèques ne voyant plus pourquoi ils se battaient puisque leur patrie était libérée, le virus bolchevique aidant, le slogan « rentrons chez nous » commença à démoraliser l’armée. Sur ces entrefaites, arrivèrent les généraux Janin et Stefanik. Par leur prestige personnel, leur présence et la promesse formelle d’évacuation au plus tôt, ils relevèrent le moral de tous. L’armée se retira lentement vers Vladivostok pour y être embarquée. Vers la mi-mars 1919, Stefanik rentra à Paris et après avoir conféré avec Clémenceau et Foch, l’évacuation de l’armée tchécoslovaque fut décidée.

Depuis le 28 octobre 1918, la Tchécoslovaquie libérée attendait impatiemment son fils glorieux qui, venant de Paris, devait passer par l’Italie pour y terminer quelques négociations. Enfin, le 4 mai 1919, Stefanik s’embarqua à Udine sur un avion militaire Caproni avec 3 officiers italiens pour rentrer dans son pays. Les conditions atmosphériques étaient très mauvaises et Stefanik était assez expérimenté pour s’en rendre compte.

Le vieux château de Bratislava était, en vue et l’aérodrome où l’attendaient sa mère, ses frères et sœurs, ainsi que les autorités civiles et militaires. Tout le monde contemple l’avion qui lutte contre le vent. Il n’est pas loin de midi, l’appareil n’est plus qu’à quelques 400 mètres, tout à coup il se cabre, pique verticalement vers le sol et s’écrase sur la terre si chère à Stefanik. Le grand fils de la Tchécoslovaquie gît mort, il a terminé la lutte sur le sol de son pays natal tant aimé.

Rudolph KLIMA


Note :

[1] Petit plateau des environs de Papeete.

Texte et photos : Société des Études Océaniennes

Précision : la rédaction de PPM a conservé la graphie originale des textes publiés par la SEO.

image_pdfPDFimage_printImprimer

Laisser un commentaire

Partage