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L’association Tāparau, fondée par Daniel Margueron, organise une soirée littéraire gratuite, jeudi 17 mars, à partir de 18 heures, sur le thème : « Faut-il être natif d’un pays (quel qu’il soit) pour écrire son histoire ? ». Quatre intervenants (Véronique Larcade, Annick Pouira-Lombardini, Philip Schyle et Jean-Marc Regnault) débattront sur ce sujet épineux à la bibliothèque pour adultes de la Maison de la culture.

Qui est légitime pour écrire l’Histoire d’un pays ? Dans de nombreux cas, la réponse fait débat entre ceux qui pensent que ce sont les historiens qui sont légitimes (grâce à leurs recherches et leur capacité à comparer les situations), quelle que soit leur origine nationale, et ceux qui laissent entendre (voire imposent) que seuls les natifs le seraient. Sous ce débat se pose la question du degré de nationalisme, voire de populisme.
MAIS, dans les pays qui ont été (ou sont encore en partie) colonisés, la question se pose avec davantage d’acuité. Ceux qui sont originaires de la nation colonisatrice ont-ils une légitimité pour écrire l’Histoire ?

C’est à ces questions que la soirée cherchera à répondre.

Un sujet capital pour le Fenua, et pas seulement ! En cette période de crise en Ukraine et de campagne électorale, la question abordée est vraiment d’actualité… Cette soirée sera animée par Martine Guichard.

Les intervenants

Véronique Larcade enseigne l’Histoire moderne à l’UPF
. Annick Pouira-Lombardini est l’auteur d’une thèse de doctorat sur l’Histoire du protestantisme en Polynésie.
. Philip Schyle a été professeur d’Histoire à Tahiti et évoquera sa double appartenance néo-calédonienne et polynésienne.
. Jean-Marc Regnault, auteur de nombreux ouvrages sur l’Histoire de l’Océanie, évoquera les difficultés rencontrées dans la recherche historique pour un non-natif.


3 questions à Jean-Marc Regnault :

– Quel est votre sentiment global sur cette question épineuse ?

« Si la question a toujours fait débat, elle s’est envenimée avec de nouvelles tendances de la recherche dans lesquelles le militantisme l’emporte sur le travail de recherche proprement dit. De plus, on vient dans certaines universités (américaines d’abord, mais cela gagne partout) à refuser qu’un homme fasse l’histoire des femmes, un hétéro fasse l’histoire des LGTB et majuscules ajoutées depuis etc.

De proche en proche, on remet tout en question, non en travaillant davantage mais en mettant en cause les travaux pourtant solidement établis sur archives et témoignages. C’est le wokisme…

Pourtant, si les personnes concernées par un sujet sont sans doute capables de produire des travaux remarquables (ex : l’histoire des femmes a beaucoup avancé avec les travaux de Michèle Perrot), il faut garder à l’esprit que la recherche n’a pas de secrets : le travail compte avant tout.

Là-dessus se greffent des problèmes politiques lorsque l’histoire devient une histoire nationaliste. Ex : Zemmour occulte les travaux américains de Robert Paxton sur Vichy. Les « vrais » historiens français ont repris les travaux de ce dernier et un ouvrage collectif qui les met en valeur sortira prochainement. »

– Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de vos recherches personnelles, et notamment pour l’affaire Pouvanaa ?

« Il y avait l’obstacle de la langue pour certains documents et celui de comprendre les mentalités polynésiennes (schismes, réconciliations, coups fourrés et embrassades… bref l’absence de rationalité comme je la concevais). J’ai été accusé successivement de vouloir salir la France, puis d’être plus ma’ohi que les ma’ohi… J’avais dans mon bagage intellectuel les travaux de Nathan Wachtel sur la prise en compte du regard de ceux qu’il appelait les « vaincus ».

Mais cela a dérangé beaucoup de monde qu’un popa’a obtienne la réhabilitation du Metua. Je n’ai même pas été invité à l’inauguration de la stèle corrigée de ses erreurs et de la réhabilitation (alors que je l’avais suggéré à l’assemblée de la Polynésie française).

Sur le nucléaire, même schéma, avec deux accusations : être vendu au Tavini et/ou à l’État. »

– Un historien natif serait-il alors le plus à même de parler de l’histoire de son pays ?

« Si le natif est d’abord historien, il pourra apporter des connaissances nouvelles qui enrichiront les recherches. Mais il n’a jamais l’apanage de la science. »

Propos recueillis par Dominique Schmitt

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