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LIBRE OPINION – La rédaction de PPM partage avec ses lecteurs une tribune envoyée par l’un de ses abonnés au sujet du Village tahitien.Et vous, qu’en pensez-vous ? Vous aussi, exprimez-vous librement et commentez l’actualité d’ici ou d’ailleurs ! Envoyez-nous vos réactions à l’adresse suivante : pacific.pirates.media@gmail.com

Cette semaine, les lauréats du Village tahitien ont été dévoilés. Il faut tout d’abord féliciter le gouvernement pour sa célérité, une accélération soudaine dans un dossier qui occupe les esprits depuis trop longtemps. La proximité d’élections a-t-elle fait office d’aiguillon ? Peu importe, en vérité. Ce qui doit nous réjouir, c’est la perspective de plus de mille emplois et une capacité d’accueil de visiteurs qui augmente. C’est autant de revenus supplémentaires pour la population et pour le Pays. Bravo.

Il faut aussi féliciter les courageux entrepreneurs qui ont répondu à l’appel d’offre. Ils étaient, semble-t-il, tous locaux. Ils ont accepté d’augmenter leur exposition au risque polynésien, montrant ainsi une confiance solide dans nos perpectives d’avenir. Bien sûr, les conditions financières de ces investissements sont très favorables : il est vraisemblable qu’ils pourront bénéficier de la défiscalisation nationale et locale, ainsi que du traitement fiscal favorable des groupes fiscaux. Il serait d’ailleurs intéressant de se demander combien vont coûter ces investissements aux contribuables français et polynésiens. Il faudra bien compenser ces baisses de recettes fiscales. Néanmoins, merci à ces investisseurs.

Pourtant, en y regardant d’un peu plus près, il n’est pas possible de ne pas s’interroger sur le déroulé de l’appel d’offre et sur les conséquences à long terme.

Le ministre responsable a indiqué, lors de sa conférence de presse, que toutes les offres provenaient d’entrepreneurs locaux. Il est légitime de se demander pourquoi un projet aussi important n’a pas attiré des investisseurs internationaux. Mille clés représentent un projet significatif, même à l’échelle mondiale. Sommes-nous trop loin ? La perception du risque polynésien est-elle si négative ? L’environnement légal et réglementaire est-il si particulier que même un projet de cette taille ne mérite pas l’investissement ? Ou, tout simplement, ont-ils compris que les investisseurs locaux auront toujours la priorité ?

Je sais que de nombreux dirigeants politiques vont se réjouir de ce résultat. Ils sont convaincus que le modèle de développement du Pays, essentiellement autarcique, est celui qui convient. Seulement, depuis plus de vingt ans, le résultat est sans appel : la Polynésie ne se développe pas. Elle s’est entourée de murailles invisibles, mais néanmoins quasi infranchissables. Ce sont des règlements et des lois qui privilégient l‘intervention publique plutôt que des règles du jeu transparentes, ce sont des virages législatifs qui effrayent des investisseurs et des financeurs habitués à fonctionner dans un État stable de droit, ce sont des différences de traitement fiscal, etc.

Les investissements locaux suffisent à peine à maintenir la richesse du Pays (le PIB) à un niveau quasi inchangé depuis le début du siècle. Pour se développer, pour créer de l’emploi, pour retenir nos jeunes, il faudra plus de projets, plus d’entrepreneurs dans plus de domaines. Les autres pays ne s’y trompent pas. Pourtant, l’idée de décourager les investissements étrangers est solidement implantée dans la tête des dirigeants locaux. Un seul exemple suffira à l’illustrer. Pour justifier la volonté du Pays de prendre le contrôle de l’aéroport, un dirigeant d’entreprise m’a dit : « on ne veut plus que chaque année 2 milliards quittent le territoire ». Si nous étions en 1960, je pourrais le comprendre. Mais aujourd’hui, le monde entier a compris que les dividendes versés par une société à ses actionnaires ne représentent qu’une part relativement modeste de la valeur ajoutée créée. Le monde entier sait que chaque investissement apporte localement de l’emploi, des compétences et des richesses. Pourquoi pas nous ?

De quoi avons-nous peur ? Que l’on vienne piller notre pays ? En dehors d’un peu de coprah, de nos perles, du poisson ou encore des nodules polymétaliques si chers à certains politiciens un peu rêveurs, que pourraient-ils piller ? Protégeons-les par des lois appropriées. D’ailleurs les pays les plus riches par habitant ne sont que rarement ceux qui vendent leurs matières premières (quelques pays pétroliers peu peuplés se glissent dans le classement). Ce sont ceux qui développent la valeur ajoutée du travail de leurs habitants. Si nous voulons améliorer notre rang, cela voudra dire créer des emplois, apporter des compétences, animer la vie économique un peu indolente du Pays. Qu’avons-nous vraiment à perdre ? Bien sûr, cela ne plaira peut-être pas à quelques entrepreneurs dominants qui bénéficient de positions d’oligopoles que rien ne vient menacer. Mais les autres, tous les autres habitants du pays, que souhaitent-ils ? La médiocrité d’un pays sous perfusion ou le dynamisme d’un pays qui va de l’avant, dans leur intérêt ?

« Dans de nombreux pays, l’expérience a montré que les entreprises dominantes s’enrichissent démesurément en exerçant leur pouvoir sur le marché, en usant de leur position pour influencer la réglementation ou en limitant la capacité d’innovation. »

En y réfléchissant, une question vient à l’esprit. Elle est un peu iconoclaste, je l’avoue : pourquoi favorise-t-on tant les opérateurs locaux ? Réfléchissons ensemble. Vous avez vingt ans, vous créez une entreprise. C’est un succès. Un demi-siècle plus tard, vous voulez vous retirer des affaires. Vos enfants n’ont pas envie ou ne sont pas en mesure de reprendre l’entreprise. Que faites-vous ? Vous vendez. Pour les entreprises pas trop grosses, vous pouvez intéresser un entrepreneur local, mais les grosses, celles pour lesquelles aucun investisseur local n’est assez riche, vous les vendrez à l’étranger. Du jour au lendemain, le loup sera dans la bergerie, Lui n’est pas là pour développer le Pays. Il sait qu’il ne pourra pas grandir. Il ne cherchera qu’à maximiser son profit. Sommes-nous préparés à cette alternative ?

Dans de nombreux pays, l’expérience a montré que les entreprises dominantes s’enrichissent démesurément en exerçant leur pouvoir sur le marché, en usant de leur position pour influencer la réglementation ou en limitant la capacité d’innovation. C’est pourquoi les questions de concurrence sont souvent au cœur des interventions publiques. Un marché qui fonctionne est un marché qui peut accueillir de nouveaux entrants à un coût raisonnable, qui privilégie l’innovation et qui limite les pouvoirs de marché. Nous avons l’outil, l’APC. Est-il bien calibré ?

Au delà même des questions de concurrence, nos dirigeants politiques disposent-ils encore des moyens de satisfaire la population ? Quand une entreprise est en mesure d’influencer des mesures de santé publique, ou d’obtenir des conditions d’exercice qui éliminent de fait toute concurrence, on est en droit de se le demander.

Surtout, ne jetez pas la pierre aux entrepreneurs. Leur talent, c’est de gagner de l’argent. Plus ils en gagneront, plus ils investiront, plus ils emploieront de personnel, plus ils vendront, plus riche sera le pays. C’est leur rôle et il faut remercier ceux qui réussissent. Ce n’est jamais facile. Par contre, il faut des dirigeants politiques suffisamment forts, assistés de collaborateurs suffisamment compétents pour définir le cadre dans lequel les entrepreneurs doivent fonctionner. Celui-ci est complexe. Il doit protéger l’environnement. Il doit protéger la santé des travailleurs mais aussi de la population, il doit éviter les concentrations trop fortes, etc. Surtout, il doit définir un cadre approprié, certains diraient un « bac à sable », pour encourager l’innovation et le développement des entreprises. Certains dirigeants politiques vont s’offusquer. Ils diront : « c’est ce que nous faisons, mais il faut trouver un équilibre entre liberté économique et encadrement ». Ils ont raison. Je leur poserai alors une question : « vous accumulez les lois et les règlements. En vérifiez-vous les conséquences ? Par exemple, je suis sûr que de nombreuses règles s’appliquent en matière de sécurité au travail. Les accidents du travail ont-ils baissé significativement ces dernières années ? ». Je ne parlerai pas du drame des accidents de la route…

Il est pourtant critique d’apprécier l’effet des décisions publiques. Nous avons le privilège d’avoir récemment gagné la plus haute marche du podium en matière d’inflation dans les DOM COM français. N’est-ce pas simplement dû à ces décisions, notamment en matière fiscale ?

Je ne voudrais pas être trop long. Un dernier sujet cependant : le Village tahitien est un magnifique projet. C’est un projet d’envergure, qui s’appuie essentiellement sur de l’investissement privé, même si, entre les travaux d’infrastructure et les avantages fiscaux, la part de financement public est loin d’être négligeable. Le Pays a aussi besoin d’investissements publics importants : la circulation est un cauchemar à certaines heures ; l’aéroport doit être rénové ; le port de commerce doit être modernisé pour pouvoir accueillir les futurs navires ; les voiliers qui polluent nos lagons ont besoin de marinas… Pour certains de ces besoins, il est possible de faire appel au privé. Pour d’autres, il faut compter sur nos ressources fiscales. En avons-nous assez ? Ou faudra-t-il développer l’activité économique pour en créer de nouvelles ?

Notre population est vieillissante, un peu comme nos infrastructures. Les dépenses sociales ne vont pas diminuer. Si nous ne faisons rien, la population active va, elle, diminuer. Les solutions sont difficiles mais elles partent toutes d’un constat : pour augmenter la productivité, il faut investir. Investir dans l’éducation ; investir dans les infrastructures ; investir dans l’activité industrielle et commerciale. Il faut donner du dynamisme à notre beau Pays. Il faut donner de l’espoir à ses habitants.

Les quelques questions que j’ai soulevées méritent des réponses. Les trouver ne sera pas facile. Montesquieu disait que les lois doivent s’adapter à la culture. S’il avait été un économiste, il aurait dit la même chose pour l’économie.

Patrick Fincker

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1 réflexion au sujet de « <strong>Village tahitien : des décisions qui interrogent… </strong> »

  1. Quelle angélisme monsieur Fincker ! Nos Entrepreneurs sont donc des parangons de vertu et nous Polynésiens devrions nous réjouir de leur heureuse Fortune ! Pourquoi notre système favorise les entreprises locales ? Mais la réponse est presque dans la question ! Parce que !
    Parce que dans l’économie « Soviétique » polynésienne, le pays décide de tout sur tout ! Que le Politique est partout dans les process de décisions; tant de la commande publique (ce qui est son rôle) que des choix de développement de l’économie privée et des arbitrages en conséquence.
    Parce que l’APC est un Leurre que Fritch a édulcoré au point de le rendre inopérant. Lorsque les investisseurs étrangers pointent vers la Polynésie, le pays s’en saisit et dirige la manoeuvre au point d’imposer ses vues et contrarier ainsi la libre entreprise et la vision de développement exogène. ce faisant, il agit comme un épouvantail !.Le « village Tahitien en est un parfait exemple..Il y en a tant d’autres..
    Parce que également dans le manque de vision des politiques locales, il y a la volonté de conserver les « équilibres » qui ont propulsé au pouvoir tel ou tel parti ! Il suffit de constater que le « entrepreneurs »sont les mêmes depuis plus de 30 ans pour certains ..Ils profitent de la manne, s’adaptent en permanence et changent de métiers si nécessaire comme mr Albert MOUX dont on peut légitimement se demander en quoi importer des Hydrocarbures le rend compétent à diriger un groupe hôtelier !?
    Puisque vous parlez du tourisme comme d’un moteur de l’économie et une chance pour la population, vous seriez bien inspiré d’investiguer sur la structure des emplois dans ce secteur ! Quelle est la répartition entre emplois durables et emplois précaires et aidés; Vous seriez surpris de constater que le ruissellement de la manne d’argent public complaisamment déversé dans ce secteur au seul profit de quelques apparatchiks bien en cour ne touche jamais les populations du socle de la pyramide.
    Parce que enfin, la Polynésie est un paradis fiscal qui ne dit pas son nom pour nos « Entrepreneurs » qui jouissent d’un flot continuel d’argent public qu’ils ne sont prêt à partager avec personne, que la fiscalité c’est 50 milliards de TVA qui est l’impôt le plus injuste et seulement 10 milliards de prélèvement sur les entreprises. Qu’il n’y a pourtant aucun ascenseur social et que dans ce système sans redistribution une personne née pauvre en Polynésie meurt pauvre !
    Enfin les voiliers ne polluent pas le lagon, ils sont des touristes qui participent a l’économie et ne viennent pas en Polynésie pour se retrouver dans une Marina !
    Pour conclure la polynésie a tout les atouts pour donner espoir à sa jeunesse et rendre heureuse sa population. Elle a toutes les infrastructures pour recevoir dignement ses visiteurs. Sa problématique est lié à la confiscation par quelques uns des intérêts de tout les autres !
    Et puisque vous évoquez Montesquieu… Peut être en polynésie plus qu’ailleurs pourrions nous nous poser la question de savoir si « L’économie est au service de l’Homme ou bien l’homme au service de l’économie ?.. »
    Cordialité.

    Stéphane

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